Par Eloïse Speleers, mars 2023
C’est au pied du piq kiʔláwnaʔ, le mont Brennan, situé entre Kaslo et New Denver, sur la route 31A, qu’Alexandra Pronovost s’est installée depuis novembre 2022. Elle y a trouvé un toit, une mission et un terrain de jeu à explorer, mais surtout à protéger. Montréalaise d’origine, Alexandra travaille présentement comme coordinatrice du projet “Rewilding piq kiʔláwnaʔ” de l’organisation autochtone des Autonomous Sinixt afin d’éduquer et de sensibiliser le public au sujet de l’importance de protéger ce corridor faunique et son écosystème unique et fragile: la forêt pluviale tempérée ancienne de l’intérieur de la Colombie-Britannique.
Son implication au sein du peuple autochtone Sinixt a commencé lors de son installation permanente dans les Kootenays Ouest en pleine pandémie, après avoir visité la région plusieurs hivers d’affilée. Anthropologue de formation, elle a œuvré plus de 7 ans avec l’organisation à but non-lucrative Exeko, avec qui elle a eu la chance de travailler auprès de nombreuses Premières Nations ainsi que la Nation Inuit du Québec. Elle a continué à garder contact avec les Inuit à travers son emploi pendant trois étés à bord d’un bateau cargo desservant le Nunavik et le Nunavut dans l’Arctique.
«Et puis, je suis arrivée ici en me disant: “Ils sont où les Autochtones?”», explique Alexandra. «On parle continuellement des pionniers, des mines, des trains, comme si l’histoire dans les Kootenays ne commence qu’en 1860. Mais, quand tu regardes autour, il y a des rivières, des lacs, des forêts, une tonne d’espèces de poissons. Ce n’est pas possible qu’il n’y ait pas eu d’Autochtones ici avant l’arrivée des pionniers comme les mythes persistants de la région aiment répéter.»
S’éduquer
Après avoir effectué des recherches à propos des Sinixt, Alexandra s’est sentie émue et interpellée par le sort réservé à cette nation autochtone, suite au statut d’extinction déclaré par le gouvernement fédéral en 1956. Forte de son expérience sur les cargos, celle qui a dû «doublement travailler pour se faire respecter» dans ce milieu machiste, s’est familiarisée avec la région et a rapidement assimilé les enjeux du groupement. Par la suite, elle a eu la chance de rencontrer la matriarche des Autonomous Sinixt, Marilyn James, dont l’un des souhaits est de renverser ce statut d’extinction. Cette reconnaissance permettra au peuple autonome de revendiquer leurs territoires ancestraux, qui englobent les Kootenays Ouest, et qui ne sont ni une étendue partagée ni cédée entre diverses Premières Nations. Une cause pour laquelle Alexandra milite également.
Ce territoire comprend donc le piq kiʔláwnaʔ,qui signifie grizzli blanc dans le dialecte Snslxcin des Sinixt. «Le grizzli blanc est tenu pour sacré et fait partie de la tradition orale des Sinixt. La feue matriarche Eva Orr faisait un rêve récurrent à chaque pleine lune, d’un grizzli blanc marchant au clair de lune», explique Alexandra qui réside sous l’ombre du sommet. «Une partie de mon travail a été de faire de la recherche à propos du grizzli blanc au gène récessif très rare. Ce n’est pas un albinos. Le grizzli blanc est difficile à apercevoir, mais il est là grâce à la bonne santé génétique de la région.» Loin d’être un mythe, il est mis en danger par le projet Zincton, une station à quatre saisons, qui se développerait au cœur des sites d’hibernation connus de cet iconique ours blanc.
Protéger l’intégrité écologique
La présence du grizzli blanc, tout comme celle des forêts anciennes indiquent la qualité de l’écosystème environnant. Prochainement, une fresque représentant l’animal sacré des Sinixt sera érigée sur les murs d’une bâtisse de l’ancien village minier de Retallack, désormais la demeure d’Alexandra. L’image sera accompagnée de panneaux éducatifs sur l’interconnectivité des forêts anciennes, de la canopée jusqu’au mycélium des champignons. et de leur connexion avec les arbres qui les surplombent.
«Il y a aussi le crapaud boréal, les chauves-souris et le carcajou. Toutes des espèces à risque, qui doivent être protégées et qui dépendent de la santé de l’écosystème. Il se porte bien ici et il faut le conserver intact. On ne peut pas faire un effort de conservation environnementale sans en apprendre plus sur la nature qui nous entoure.», détaille Alexandra qui revendique la protection de l’intégrité écologique de la région. Ceci par la diminution des développements humains, de la déforestation, mais aussi de l’héli-ski et du motoneige et l’arrêt du développement du centre de ski Zincton, qui menacent cette intégrité.
Cette mission confiée par les Autonomous Sinixt répond au besoin d’effectuer un travail significatif pour l’ancienne militante, engagée lors des grèves étudiantes de Montréal en 2012. «Sur le bateau, je me sentais déconnectée des saisons. Cela me coûtait cher identitairement dans ce milieu de boys club. À force de recevoir une image négative de toi-même, tu finis par les croire», confesse Alexandra qui, depuis toujours, se sent proche des causes féministes qu’elle revendique au quotidien ainsi que lors de l’émission francophone Méli-Mélo de la Kootenay Co-op Radio qu’elle anime régulièrement en ne jouant la musique que de femmes artistes.
Le féminisme se manifeste aussi dans le Smum Iem, soit la gouvernance traditionnelle propre aux Autonomous Sinixt. En effet, l’organisation se gère autour de la Loi des femmes: «Tout passe à travers les femmes. Elles ont beaucoup de responsabilités sur les épaules. La douleur comme la joie.», conclut Alexandra Pronovost.